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La carte de la structure familiale en Europe.

Le jeu des quatre familles.

Libération. Logo.Libération. Vendredi 20 Avril 1990. Page 21.

Le jeu des quatre familles.

Europe. Chaque Vendredi. Un Cahier spécial consacre a la construction européenne.

Dans la famille «souche», je demande l'Allemagne, l'Autriche, l'Irlande... Dans la famille «communautaire», la Toscane et la Finlande... L'historien démographe Emmanuel Todd, dans un livre paru hier, propose un découpage inédit de l'Europe, déterminé par quatre types de structure familiale. Selon lui, les religions et les systèmes politiques d’une région en découlent directement.

Est ce que l'Europe sera universaliste? Respectueuse de la difference? Ethnocentrique? Les Européens ne pourront pas se définir sans se mettre d'accord sur la définition de l'Autre... J'aimerais profondément que l'Europe politique se fasse sur des bases claires de reconnaissance des differences mais, au fond de moi-même, je ne pense pas qu'elle se fera.»

Continent mystérieux. L'Europe est sans consistance géographique –le Petit Robert ne parvient à la définir que comme «le plus petit et le plus mal délimité des continents, formant un cap avancé de l'Asie»–, elle s'échappe dès qu'un historien tente de nouer les fils de son passé. Pourquoi le protestantisme n'a-til-fait siennes que les terres de l'Europe du Nord? Pourquoi l'Angleterre futelle la mère-patrie de l'industrie? Pourquoi la France s'est-elle enivrée du sang de la Révolution avant de rejeter celui du nazisme et du fascisme? Autant de questions demeurées jusqu'à présent sans réponse.

Cependant, un coin du voile est peutêtre en train de se lever. Emmanuel Todd, historien démographe, vient en effet de publier un ouvrage –L'Invention de l'Europe1– dans lequel il nous livre une clé de lecture, particulièrement séduisante, de l'histoire du continent: la famille.

La thèse –l'évolution religieuse, économique, idéologique d'un groupe humain est largement conditionnée par son fond anthropologique– n'est pas nouvelle. Aristote, Rousseau, Diderot, pour ne citer qu'eux, en furent de fervents adeptes. Depuis plusieurs années, une équipe d'universitaires britanniques travaille dans cette direction. Lui-même diplômé de Cambridge pour ses travaux sur les systèmes familiaux, Emmanuel Todd avait déjà, dans la Nouvelle France (1988), appliqué cette grille d'analyse à l'Hexagone. Mais personne n'avait encore recherché avec autant de minutie et d'application (sept ans de travail et une mine d'informations souvent inédites) les corrélations entre les valeurs portées par la famille et le comportement social des ethnies ou des peuples européens au cours des cinq siècles écoulés.

Loin des envolées lyriques des disciples de Braudel, Todd nous fait pénétrer dans le labyrinthe de l'Europe. Un fil d'Ariane à la main: la variété des terreaux familiaux est à l'origine de la diversité du continent. Certains peuples s'enflamment pour la Réforme et d'autres pour la Révolution; des ethnies virent au nationalisme, d'autres professent le socialisme; des régions sont en première ligne pour l'alphabétisation et l'industrialisation mais s'effraient du contrôle des naissances ou du suffrage universel... Tout cela, assure Todd, n'est qu'une affaire de culture familiale.

La démonstration –étayée par quatre-vingts cartes– est en apparence sans faille. Si parfaite, d'ailleurs, que l'on se prend à douter. L'auteur n'est-il pas tombé dans un double piège? N'a-til pas vu une cause là où il n'y a parfois qu'une corrélation? En troquant la variable religieuse contre la variable familiale pour expliquer «le processus de différenciation et de segmentation» de l'ouest du continent, il a gagné un maillon. Mais a-t-il pour autant remonté toute la chaîne?

Ces remarques ne doivent malgré tout pas nous gâcher le plaisir de goûter (avec parfois des pointes d'étonnement) à l'un des exercices de synthèse les plus aboutis. Ni de jouer, comme il nous y invite, au jeu des quatre familles.

La famille nucléaire égalitaire.

Bassin parisien, centre et sud-est de l'Espagne, centre du Portugal, nordouest de l'Italie, avec une prolongation en Provence, Mezzogiorno et Sicile, Suisse romande.

Le couple fait des enfants qui, arrivés à l'âge adulte, fondent des ménages indépendants. La famille ne se développant jamais au-delà du noyau parents-enfants, ce modèle contribue à développer l'individualisme. Quant aux biens des parents, ils sont partagés de façon équitable, méticuleuse, entre les descendants. D'où une très forte sensibilité aux notions d'égalité.

Liberté et égalité. Deux thèmes chers à une Révolution qui naquit dans le Bassin parisien et dut batailler ferme contre les autres France régentées par d'autres valeurs familiales: l'Occitanie, la Bretagne, le Nord et l'Alsace. Mais la «quintessence universaliste» de la France est loin de s'être imposée dans le reste de l'Europe, y compris dans les régions partageant le même système familial.

Dans les zones où domine la petite propriété, la religion (catholique à l'exception de la Suisse romande demeurée sous l'influence de Berne) demeure très vivace jusqu'au milieu du XXe siècle. Dieu refusant de s'effacer devant les grandes idéologies modernes, ces régions donneront naissance à ce que Todd appelle le républicanisme chrétien. Lorrains et franc-comtois ne 'se rallient pas aux idéaux de la Révolution et pourtant soutiendront la IIIe République, égalitaire, malgré les sermons du pape.

A l'inverse, les provinces où la grande exploitation est majoritaire subiront les premières (1730 à 1800) le phénomène de déchristianisation. Affranchies du Créateur, celles-ci choisiront, à droite, le libéral-militarisme et, à gauche, l'anarcho-socialisme.

Dans sa version française, le libéral-militarisme donna naissance au bonapartisme et au boulangisme. Deux mouvements autoritaires qui prônèrent la discipline et la hiérarchie mais ne purent se débarrasser de l'individualisme égalitaire. Ils glorifiaient le suffrage universel et réclamaient la légitimation populaire du chef suprême. A l'origine de l'un des rares coups d'Etat (Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1851) qu'ait connus l'Europe (ils ont tous échoué en Allemagne et en Russie), cette forme de nationalisme s'est nourrie de l'anarchisme de la société française. Cette dialectique de l'ordre et du désordre, associée à un analphabétisme prolongé, a également donné naissance à un nationalisme très particulier: la Mafia sicilienne, la Camorra napolitaine et la N'drangheta calabraise.

De son côté, l'anarcho-socialisme, pétri des idéaux de la Révolution, a connu des destins divers. Le «ni Dieu ni maître» espagnol a conduit à la création du syndicalisme anarchiste qui a longtemps dominé le monde ouvrier. En France, la gauche antiétatique, très présente dans la capitale et le Bassin parisien, influença la CGT du début du siècle. Mais, dans les années 1920-1930, celle-ci dut composer avec les autres familles françaises. De l'autre côté des Alpes, Piémontais et Lombards célèbrèrent l'autonomie ouvrière, l'action spontanée des masses... jusqu'à la Première Guerre mondiale, date à laquelle ils furent disciplinés par le socialisme autoritaire d'Italie centrale.

Dominée par la France, cette Europe de la liberté et de l'égalité a apporté à ses partenaires le contrôle des naissances (pratiqué en France dès 1750) et le suffrage universel. La construction de la Communauté ne l'effraie pas. Elle juge même l'objectif modeste puisqu'il ne s'agit que d'un fragment de l'homme universel. En revanche, elle a du mal à admettre les différences et se rend volontiers désagréable à ses partenaires par son «universalisme agressif».

La famille souche.

Le monde germanique (Allemagne, Autriche, Suisse alémanique) et ses débordements (Alsace, sud-est des Pays-Bas, sud du Danemark), la majorité de la Scandinavie du Nord, un bloc celte (pays de Galles, Cournouaille, nord-ouest de l'Angleterre, ouest de l'Ecosse, l'Irlande, la Bretagne bretonnante), l'Occitanie et un arc nord ibérique.

Adulte, un seul des fils (aîné, cadet ou choisi par le pére) se marie et procrée sans quitter ses parents. Les autres enfants ont le choix entre rester célibataires dans la maison familiale ou s'en aller pour se marier, devenir prêtres ou soldats. Ceux-ci sont dédommagés par des soultes en argent. La cohabitation de deux générations adultes illustre l'autoritarisme du système. La transmission d'une grande partie du patrimoine à un seul enfant et le célibat, plus ou moins accepté, des autres trahissent l'inégalitarisme du modèle.

Autorité et inégalité. Aucun frontispice n'arbore une telle épitaphe. La conjugaison de ces deux valeurs va pourtant être à l'origine du grand bouleversement du XVIe siècle: la Réforme. «La prédestination protestante, l'idée d'un Dieu tout-puissant et d'hommes inégaux devant le salut, a été acceptée facilement là où préexistait une organisation familiale incluant un père autoritaire et des frères inégaux.» A l'exception de l'Occitanie et du nord de la péninsule ibérique, toutes les régions de famille souche ont adopté le protestantisme.

Dès lors, le continent se divise en deux. Au nom du principe «nous sommes tous des prêtres» (un slogan pourtant très égalitaire!), Luther accélère l'alphabétisation. L'Europe du Nord décolle. A l'inverse, le catholicisme, en réaction à la Réforme, freine, et parfois pour longtemps, le progrès. «Sans l'Allemagne et son protestantisme, l'Europe serait toujours un continent sous-développé.»

Convergentes, valeurs familiales et valeurs religieuses du monde germanique se conjuguent et donnent naissance à la philosophie allemande. L'individu n'est rien, c'est le sang, la nation qui comptent. Par ailleurs, rien ne sert de croire en ses propres forces puisque le père et Dieu choisissent leurs élus. Conclusion: «Le peuple allemand, supérieur aux autres, agit comme un unique être vivant. Les hommes ne sont ni libres ni égaux.»

Combinée à une idéologie nationaliste et déchristianisée, cette éthique donna ce que Todd appelle l'ethno-centrisme (défense parfois aggressive de l'ethnie). En Allemagne, cela se traduisit par le pangermanisme puis le nazisme. Dans les petits pays comme la Suède et la Suisse, il prit la forme du neutralisme. Enfin, dans les régions enclavées ou périphériques, il est à l'origine des mouvements régionalistes. Irlandais, Gallois, Ecossais, Norvégiens de l'Ouest, Flamands, Wallons, Basques, Catalans, Galiciens, Bretons, Auvergnats... à l'exception de la Corse, la liste des divers mouvements et fronts de «libération» correspond presque point pour point aux implantations périphériques de familles souches.

En se retirant, Dieu a également cédé la place à une idéologie typiquement allemande: la social-démocratie. Née en 1875, celleci progresse au même rythme que reflue le protestantisme. Malgré les persécutions bismarckiennes, en 1912, le parti compte 1.700.000 adhérents, possède une centaine de journaux, s'appuie sur des syndicats puissants et contrôle d'innombrables associations. La discipline familiale devient discipline partisane. «L'amour du parti définit mieux que tout élément doctrinal la nature de la social-démocratie allemande et l'oppose trait pour trait à l'anarchosocialisme parisien ou andalou.»

Ce modèle social-démocrate se propage sans peine dans les pays luthériens et calvinistes. On le retrouve, presque intact, à Stockholm, Vienne, Bruxelles et Berne. En revanche, dans les pays et régions où il est en contact avec d'autres cultures familiales, l'ordre partisan fléchit. En zone romande, les militants paient moins régulièrement leurs cotisations et «un certain révolutionnarisme verbal trahit l'influence de l'égalitarisme». En France, il donne la SFIO, le «socialisme du cassoulet».

Enfin, en réaction aux deux idéologies laïques précédentes, les régions où la foi était demeurée intacte (le monde catholique en Allemagne) ont généré la démocratie-chrétienne. Ce mouvement rejette l'«étatisme radical» mais réclame l'intervention de l'Etat, lui-même sous contrôle de l'Eglise, pour protéger les droits des faibles.

Mère de la sécurité sociale, l'Allemagne a développé un modèle capitaliste original, ni sauvage ni individualiste. Son dynamisme économique ne s'est jamais démenti; l'évolution de la société est en revanche plus lente. «Même unie, l'Allemagne demeure un pays vieilli, calme, travailleur. Elle ne s'emballe pas, y compris pour l'Europe.» Seules, les régions enclavées du reste de l'Europe se réjouissent de la construction communautaire: elles vont pouvoir échapper à l'Etat-nation.

La famille communautaire.

Italie centrale (Emilie-Romagne, Ombrie, Toscane), Finlande.

Tous les fils peuvent se marier et amener leurs épouses au domicile parental. Très vite se forme une structure étendue avec la corésidence verticale de trois générations et horizontale de deux frères mariés, sous l'autorité du patriarche. Le partage des biens est égalitaire.

Famille. Harlingue-Viollet.
Harlingue-Viollet.

Ce type de famille, probablement le plus répandu sur la planète, est rare en Europe de l'Ouest. Il domine la Russie, la Serbie, la Bulgarie, la Hongrie, l'Albanie, la Mongolie, la Chine, le Viêtnam, l'Inde du Nord, mais n'influence que quelques régions de la Communauté. Perméable à toutes les religions –catholique au Sud, protestante au Nord et orthodoxe à l'Est–, ce modèle familial se singularise par les deux idéologies qu'il a produites après la disparition de la métaphysique religieuse: le communisme et le fascisme. Les cités idéales, socialistes ou nationalistes, sont, à l'image de la famille, autoritaires et égalitaires.

La social-démocratie s'accommode d'une hétérogénéité sociale (inégalité entre frères) pour peu qu'elle soit contrôlée par un Etat puissant. Le communisme, par contre, recherche l'homogénéisation et tente d'abolir les distinctions de classes. A l'autre extrémité de l'échiquier, le fascisme se distingue également du nazisme. Tous deux sont très autoritaires mais le premier est «rongé par l'égalitarisme» quand le second cherche à soumettre des «hommes inégaux». Le nationalisme mussolinien n'affirme pas l'infériorité des autres peuples et n'appliqua que tardivement des mesures antisémites.

L'Italie centrale a produit à la fois le fascisme et le communisme. Le premier a disparu. Le second demeure vivace: les Toscans continuent à voter communiste. Le cas finlandais est moins net. Un parti fasciste a connu ses heures de gloire, parvenant en 1930 à interdire le parti communiste. Mais l'extrême droite est toujours restée minoritaire tandis que la gauche parvenait à conquérir 40% des suffrages.

Crétinisée pendant des siècles par la contre-Réforme catholique, l'Italie centrale a été maintenue dans un sous-développement relatif. Aujourd'hui, elle s'envole: la richesse créée par habitant est l'une des plus importantes d'Europe. Elle devrait se couler sans peine dans le moule régionaliste.

La famille nucléaire absolue.

Hollande, Danemark, sud et est de la Grande-Bretagne, sud-est de la Norvège, nord du Danemark, Maine et Anjou, Bretagne.

Le jeune adulte doit très vite échapper à l'autorité paternelle. Mais, à la différence de la famille nucléaire égalitaire, le père est libre de répartir comme il l'entend ses biens entre ses enfants par testament. Indifférent aux notions d'égalité et d'inégalité, peu porté à la solidarité familiale, il s'agit d'un modèle individualiste.

Famille. Kevstone.
Kevstone.

A l'exception de la Bretagne (maintenue dans le catholicisme manu militari), toutes les régions où dominent les familles nucléaires absolues se convertissent au protestantisme. Toutefois, sous l'influence de deux théologiens, le Hollandais Arminius et le Danois Grundtvig, elles rejettent le prêtre, remettent en question le dogme de la prédestination et réintroduisent l'idéal du libre arbitre, le salut par les œuvres.

C'est là que naît le libéralisme. Spinoza et Descartes se réfugient en Hollande pour pouvoir écrire tandis que Voltaire s'émerveille de la première monarchie parlementaire. Bien que faiblement alphabétisée, l'Angleterre lance la révolution industrielle. Le Mayflower exporte le tout aux Etats-Unis.

Le reflux religieux est plus tardif (fin du XIXe siècle) que dans le Bassin parisien. Il est néanmoins plus massif et laisse la place à deux idéologies typiquement british: le travaillisme et le libéral-isolationnisme.

Le socialisme britannique est étrange. Il ne propose aucune réforme globale de la société, accepte les distinctions de classes, se méfie de l'Etat et, quand il arrive au pouvoir, donne l'impression de ne pas avoir envie de l'exercer (Todd parle de «zéro-socialisme»). «Le Labour semble avant tout chercher à préserver la libre entreprise du syndicat

De son côté, le nationalisme est faiblement agressif. Le peuple anglais ne se considérant «ni leader d'une collection de peuples équivalents (modèle français), ni le sommet d'une hiérarchie mondiale (modèle allemand)», il se replie sur lui-même. Paradoxalement, cet isolement n'empêche ni la constitution d'un immense empire colonial ni la colonisation des Etats-Unis.

Le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Danemark donnent parfois l'impression de se désintéresser des affaires du continent. Leur attitude est en réalité ambivalente. L'hostilité à la construction communautaire se combine à une suradaptation à l'Europe. «Ils perçoivent tous les peuples différents et trouvent cela très bien. Ils ont une grande aptitude à accepter la planète entière. De plus, ils possèdent une grande plasticité sociale. Ils réagissent très vite

Les familles atypiques.

La famille souche incomplète. Ni communautaire, ni véritable famille souche. On la trouve dans les zones de friction du monde latin et du monde germanique ainsi qu'entre la France d'oil et la France d'oc. Ces régions ne constituent malheureusement pas une audacieuse synthèse. Seule surprise: c'est là que l'on trouve les trois sièges des institutions européennes.

La famille matriarcale. L'autorité est exercée par la mère. Elle est présente dans le Sud-Ouest ibérique et serait à l'origine d'un vote atypique: plus de 40 % pour le parti communiste.

La famille patrilinéaire à résidu endogamique. Une expression barbare pour dire que la famille corse est très proche du modèle arabe, le mariage entre cousins en moins. La famille est tout, l'Etat n'est rien. Les clans envahissent l'Etat pour l'empêcher de se développer. La Corse fut le seul échec de l'Etat jacobin. Elle s'est singularisée en 1975 en faisant échec au recensement.

Les mariages.

La religion est morte, le prolétariat est en déclin, les idéologies se décomposent et la famille elle-même ne se sent pas très bien. «Les valeurs d'autorité ou de liberté qui guident la modernité post-industrielle ne sont vraisemblablement plus portées exclusivement par les systèmes familiaux. Mais l'école, le voisinage, l'entreprise servent aussi de relais. On peut postuler une diffusion des valeurs traditionnelles dans l'ensemble du corps social

Postulons: la culture des quatre familles européennes continue à imprégner le continent. Un trait autoritaire, «capable de freiner la rétraction industrielle, de stabiliser le système des partis et l'amour de l'Etat», continue à marquer l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse et, pour ce qui concerne le seul domaine politique, l'Italie et la Suède. Un trait libéral, catalyseur d'évolutions socio-professionnelles ou politiques particulièrement rapides, demeure à l'œuvre en Grande-Bretagne, en France, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas. Question: peut-on sérieusement envisager une union durable de ce bazar ethnique?

L'attitude vis-à-vis des immigrés est exemplaire de la difficulté à construire l'Europe des citoyens. Au nom de la liberté et de l'égalité, la France persiste dans le dogme d'une assimilation nécessaire. Droit du sang et droit du sol sont mêlés. Un code de la nationalité généreux francise 95% des enfants nés en France de parents étrangers. Au pays de l'ordre et de la hiérarchie, seul le sang est source de droit. Le code allemand assure que 95% des enfants d'étrangers resteront étrangers. Enfin, le libéralisme anglais «navigue à vue, guidé par des concepts intermédiaires». Le respect de la différence conduit à créer des ghettos; l'individualisme autorise des adaptations, des mariages mixtes, sources d'indéniables réussites individuelles.

«L'Europe sera-t-elle universaliste? Respectueuse de la différence? Ethnocentrique? Les Européens ne pourront pas se définir sans se mettre d'accord sur la définition de l'Autre.» Sur le plan politique, le problème est similaire. La crise idéologique contribue à faire réémerger les tempéraments fondamentaux. «J'aimerais profondément que l'Europe politique se fasse sur des bases claires de reconnaissance des différences mais, au fond de moi-même, je ne pense pas qu'elle se fera

Bien sûr, tout cela n'est pas sérieux. Il n 'y a aucune raison de croire cet homme de trente-neuf ans, au visage juvénile, qui, dans les semaines à venir, va avoir sur le dos les communautés des anthropologues, des géographes et des historiens. Aucune, si ce n'est celle-ci: Emmanuel Todd a écrit la Chute finale, un ouvrage qui annonçait la décomposition du système soviétique. Celui-ci a été publié en... 1976.

François Feron.

© Libération.

La carte de la structure familiale en Europe. Image: Francina Cortés. De la version d'« El Periódico de Catalunya ». Lundi, 7 mai du 1990. Page 26.
La carte de la structure familiale en Europe. Image: Francina Cortés. De la version d'El Periódico de Catalunya. Lundi, 7 mai du 1990. Page 26.

Les families en Europe.

Famille nucléaire égalitaire. Famille nucléaire égalitaire. Image: Francina Cortés.

Famille nucléaire égalitaire.

Tradition de ces régions (1500-1900): à l'âge adulte les enfants quittent le domicile parental; au décès des parents, le patrimoine est partagé équitablement. Valeurs: liberté et égalité. Idéologies. A gauche: anarcho-socialisme. A droite: libéral-militarisme.

Família troncal. Famille souche. Image: Francina Cortés.

Famille souche.

Tradition de ces régions (1500-1900): l'un des enfants reste avec le père et fait fructifier le patrimoine. Les autres ont le choix entre rester célibataire au domicile parental ou se marier à l'extérieur. Valeurs: autorité et inégalité. Idéologies. A gauche: social-démocratie. A droite: pan-germanisme, nazisme, neutralisme.

Famille communautaire. Famille communautaire. Image: Francina Cortés.

Famille communautaire.

Tradition de ces régions (1500-1900): les enfants se marient et demeurent sous le toit parental; un patriarche règne sur trois générations qui travaillent ensemble, et en cas de partage c'est l'équité qui l'emporte. Valeurs: autorité et égalité. Idéologies. A gauche: communisme. A droite: fascisme.

Famille nucléaire absolue. Famille nucléaire absolue. Image: Francina Cortés.

Famille nucléaire absolue.

Tradition de ces régions (1500-1900): à l'âge adulte les enfants quittent le domicile parental; le partage des biens n'est pas équitable. Valeurs: liberté et individualisme. Idéologies. A gauche: travaillisme. A droite: libéral-isolationnisme.

Dessins des schémas famillers: Francina Cortés. De la version d'El Periódico de Catalunya.

Le décollage culturel.
Le décollage culturel. Le Portugal actuel n'a vraisemblablement pas encore dépasse le niveau d'alphabétisation de la Suède du 18eme siècle.

La structure familiale détermine les differences structurales européennes, selon Todd. Image du fichier de la version de « El Periódico de Catalunya ».
La structure familiale détermine les differences structurales européennes, selon Todd. Image du fichier de la version de El Periódico de Catalunya.


Note:

1L'Invention de l'Europe. Ed. Seuil. 540 pp. 195F.


Marc Ferro.L'invité.
Marc Ferro.
Historien. Auteur de «Comment on raconte l'histoire aux enfants a travers le monde entier», Payot.

Impérialisme Sectoriel.

Je veux d'abord saluer Todd et son œuvre parce que c'est quelqu'un qui fait des découvertes théoriques et méthodologiques assez géniales. On peut malgré tout faire quelques critiques à son dernier livre. Ma première observation est qu'il se rend coupable du péché d'impérialisme sectoriel. Le modèle familial et la démographie lui servent d'explication ultime. Il exclut trop la part des autres disciplines à l'intelligibilité du passé.

L'utilisation systématique d'un même paramètre est extrêmement productive. Toutefois, l'exercice a ses limites. Il explique que c'est à cause de son modèle autoritaire que l'Allemagne a sombré dans le pangermanisme puis le nazisme. Mais c'est également dans ce pays qu'à certaines époques on a enregistré un nombre record de communistes ou d'anarchistes.

Deuxièmement, un autre paramètre me paraît aussi déterminant que celui des modèles familiaux: l'unification économique du monde. Elle intervient à la même période que celle étudiée par Todd et a abouti à la révolte des zones enclavées ou périphériques. Ce sont elles qui se sont révoltées les premières. La Provence et le mouvement félibréen se sont éveillés dans les années soixante, soixante-dix, avec le développement du chemin de fer. De la même manière, il y a une corrélation évidente entre le nationalisme ukrainien et son intégration industrielle à la Russie. En fait, toutes les zones extérieures au centre se sont révoltées dès que l'Etat a pu contrôler, grâce au chemin de fer et aux moyens de communication, l'ensemble des régions qui constituaient une entité nationale. A mon avis, l'unification économique du monde et, aujourd'hui, l'unification des médias et des communications en général ont joué –et jouent encore– un rôle aussi important que les modèles familiaux. Pour finir, je dois dire que je partage son pronostic sur' révolution de l'URSS. Il dit que c'est un pays cultivé, doté d'un passé glorieux, etc. Or, c'est actuellement un pays où l'on trouve 35 millions de spécialistes et 15 à 20 millions environ de docteurs. Un pays aussi éduqué peut parfaitement, malgré le marasme économique actuel, se régénérer. Il en a les moyens culturels.

La Russie est dans la situation de l'Allemagne, un des pays les plus instruits du monde occidental. En 1938, à Moscou, sur 160.000 communistes, 23.000 avaient fait des études supérieures. En 1988, pour 1.100.000 communistes, 575.000 ont fait des études supérieures.

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